Ponctuation acoustique est une performance sonore. Une interaction, en temps réel, entre la voix d’un poète et son écriture transformées et projetées. Le son, qui accompagne la lecture, est généré par une capture d’inscriptions faites avec une plume dotée d’un microphone, ainsi que par la voix. Le flux sonore est traité en temps réel, grâce à une réalisation informatique, et agit avec la poésie.
Pour cette réalisation, nous avons élaboré un dispositif électro-acoustique. D’une part, le développement d’une interface, à l’aide du logiciel MaxMsp (Ircam et Cycling 74), permettant la capture, le stockage, le traitement de la voix et des inscriptions de la plume. Et d’autre part, l’utilisation du Spat (Ircam) afin d’exploiter la spatialisation sonore au sein d’une quadriphonie et créer des espaces acoustiques, augmentés d’une dimension expressive. Nous désirons créer de nouvelles conditions d’écoute. La performance intègrera des textes et des poèmes écrits pour le projet, ou déjà existants et que le poète souhaiterait dire d’une manière autre. Elle se déroulera selon une partition électronique élaborée et se construira sur le thème de la ponctuation.
Depuis « Un coup de dés jamais n’abolira le hasard » de Stéphane Mallarmé, la ponctuation du poème a changé. La mise en espace du texte est devenu un mode opératoire important. Et puis, à l’oral, la voix monte, descend, observe des temps de pause, des arrêts,… Elle permet à elle-seule de moduler et de cadencer notre discours, de lui donner tout son sens, de mettre en avant certains mots, certaines phrases. Nous voulons explorer ces blocs d’espace/temps dans le monde de l’audible. À l’écrit, toute cette richesse inhérente à la voix n’est plus. La ponctuation et la mise en espace semblent y suppléer par un mouvement produit sur un plan interne. Il s’agira, pour commencer, de constituer une syntaxe acoustique issue d’une recherche et d’une expérimentation sur des modèles de ponctuations littéraires et musicales.
Note d’intention
Nous considérons le monde de la poésie comme un monde sonore, empli de sens et de son. Et le désir de construire ce monde, de croiser deux registres d’expressions et en même temps de les laisser se dérouler sur leurs propres terrains, investit l’écriture, la transforme en une nouvelle écoute. Un monde audible voué à un public qui vit, à haute voix, ses propres perceptions et sensations.
La poésie se présente comme un déroulement, dans l’espace et le temps, d’un scénario interne. Comment dérouler une oeuvre pour faire émerger la trace durable qu’elle nous parait avoir laissé dans l’espace, en le traversant, et rendre son immanence ? Quels sont les espaces où l’écriture ne va pas forcément ? Etant donné que le texte est lui aussi constitué par un continuum sonore, il est possible de marquer les moments, de baliser les contours des «espaces internes» afin de pouvoir, non seulement les adapter à l’espace externe, aux dimensions de la salle et aux capacités de l’écoute collective, mais de créer de nouveaux espaces où le sens et le son se conjuguent et s’actualisent. L’écoute peut être assistée par la technologie, en soulevant la question de la dimension propre à l’espace des sons, à leurs productions.
L’articulation du projet
Ponctuation: n.f. Action, manière de ponctuer. <> Signes de ponctuation: signes graphiques tels que le point, la virgule, les tirets, etc., marquant les pauses entre phrases ou éléments de phrases ainsi que les rapports syntaxiques.
Ponctuer: v.t. 1. Marquer un texte de signes de ponctuations. 2. Renforcer certains mots par des gestes ou des exclamations. 3. MUS. Marquer les repos en composant ou en exécutant une partition
Le petit Larousse illustré 2001
Le projet consistera d’abord à explorer les fonctions de la ponctuation telles qu’elles sont présentées dans les définitions; commencer par faire une analogie directe avec le descriptif de chaque signe et les expérimenter. Ces analogies constitueront des modèles à partir desquels nous allons élaborer notre propre lexique, et de là, notre propre écriture acoustique en conjugaison avec le style singulier du texte ou du poème lus.
Nous ferons aussi une analogie avec l’utilisation des silences ou cadences en musique et une partition de silence Cela dit, la poésie amènera les silences qui lui sont nécessaires. Peut-être faudra-il les transcrire et les utiliser comme paramètres compositionnels ?
Il sera nécessaire d’établir une légende des gestuels de l’écriture avec la plume électro-acoustique à partir des recherches précédentes. La manière d’écrire un mot en minuscule, par exemple, la manière de poser la plume sur le papier, de tracer le graphisme diffère de son écriture en majuscule. L’un est continu -lié- et permet ainsi de générer un son continu, l’autre discret (non continu) et direct. Deux manières qui produiront sur le papier et lors de la capture; deux sons différents (le timbre, la durée et le rythme). Il s’agira d’élaborer ces matériaux et d’expérimenter, selon la légende, dans une écriture acoustique agissant avec la voix du poète, ses gestes et ses postures.
Réalisation technique
La plume est en fonctionnement, en revanche, elle nécessite un assemblage plus robuste (la stabilité du microphone) ainsi que la possibilité de changer de plume aisément. Il s’agira aussi d’essayer différents supports d’inscription (papier, grain du papier, expérimenter d’autres surfaces) et enfin de trouver l’agencement adéquat «main-plume» afin de permettre au poète d’aborder convenablement l’écriture avec cet instrument. Sans oublier l’optimisation du dispositif électroacoustique et éviter l’encombrement des câbles audio et électriques (utilisation de système HF).
Réalisation informatique
Le développement de l’interface numérique se fera avec la programmation modulaire que nous permet MaxMsp. Il s’agira de construire un «patch» de concert qui réunira les modules de traitements, le spatialisateur de l’Ircam, un protocole de communication avec le logiciel Holo-Edit du Gemem qui sert à générer des trajectoires pour le Spat. Comme ces différents modules sont contrôlés par des paramètres déterminés, la partie la plus importante sera d’élaborer une partition électronique regroupant les traitements sonore et la spatialisation à effectuer sur les inscriptions de la plume ainsi que sur la voix, les événements à enclencher tout le long de la lecture/performance. Quel son ? À quel moment ? Quel effet ? Dans quel(s) haut-parleur(s) ? Comment (trajectoires) ? Quelle durée? etc. Cette partition sera écrite, au fur et à mesure de nos recherches et expérimentations dont nous présentons les ébauches dans le dossier artistique.
Réalisation sonore
Création d’espaces acoustiques virtuels :
Nous aurons à marquer les moments, baliser les contours des espaces internes de la poésie (le texte est constitué par le continuum sonore lui-même), afin de pouvoir les anticiper pour les adapter à l’espace externe, aux dimensions de la salle de spectacle et aux capacités de l’écoute collective. Cette première étape sera celle du déchiffrage, dans le rapport de l’espace de l’oeuvre à l’espace d’écoute.
Déploiement d’une durée d’écoute :
« …il est possible… de concevoir les moments successifs du temps indépendamment de l’espace, mais lorsqu’on ajoute à l’instant actuel ceux qui le précédaient… ce n’est pas sur ces instants eux-même qu’on opère, puisqu’il sont à jamais évanouis, mais bien sur la trace durable qu’ils nous paraissent avoir laissée dans l’espace en le traversant.» Henri Bergson, Essai sur les données immédiates de la conscience, p.60, Ed. Librairie Félix Alcan, Paris 1914.
(Nous nous pencherons aussi sur la conception Bergsonienne de la mémoire (Matière et Mémoire, 1896)
et comment elle investit cette «trace durable»).
Multiplicité de la voix :
Il faudra chercher et trouver avec une précision toute «musicale» les points de départs, les points de jonctions, les disparitions, les apparitions, les croisement. Les noter sur un relevé graphique pour la performance, être prêt à bien aménager les contrastes dynamiques, réussir les pianissimo… mettre en place les respirations. Il faudra aussi distinguer les moments structurels, pour donner une valeur optimale en choisissant les couples de projecteurs [les espaces virtuels] les plus appropriés au calibre des formes. Ce sera le moment de la mise en place de l’accentuation intentionnelle et significative du texte, augmentée du flux sonore. Le format multi-phonique nous permet maintenant d’organiser nos plans, mouvement et contrastes en figures volontaires, selon une partition, maintenant, en temps réel. Ce qu’un nouveau format autorise, offre un territoire neuf à conquérir. Les sons seront nos intercesseurs pour faire avoisiner les composantes constituantes de ce nouveau territoire.